#AN: Débat sur le développement l’avenir de la filière nucléaire

http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160164.asp

Extrait :

Semaine de Contrôle
mercredi 30 mars 2016 – 1ère séance
Débat sur le développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport d’information de la commission des finances sur les perspectives de développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire.
La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde d’une durée d’une heure en présence des personnalités invitées, puis nous procéderons, après une intervention liminaire du Gouvernement, à une séquence de questions et de réponses, avec d’éventuelles répliques et contre-répliques.
Je vous rappelle que, dans cette seconde partie, les interventions ne devront pas dépasser deux minutes.
Nous avons la chance d’accueillir quatre invités. Nous vous remercions de votre présence et, comme nous en sommes convenus, nous vous proposons de vous exprimer chacun durant cinq minutes. La suite des débats sera plus interactive.
Table ronde
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT.
Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la FNME-CGT vous remercie de cette initiative qui va lui permettre de vous livrer son point de vue sur un sujet aussi important que l’avenir de la filière nucléaire française.
Répondre aux besoins énergétiques du pays dans le cadre de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais également de notre empreinte carbone, implique d’utiliser le mix énergétique le plus approprié à l’aune de critères économiques, sociaux et environnementaux.
Dans ce cadre, la production nucléaire devrait conserver une part décisive dans la production d’électricité, laquelle va être sollicitée par le développement de nouveaux usages. C’est un atout industriel de notre pays qu’il nous faut préserver. Rappelons que la pauvreté énergétique conduit 11 millions de personnes, en France, à se priver d’une part de certaines consommations de première nécessité. Par ailleurs, un coût compétitif de l’électricité concourt à la performance des entreprises et est un atout pour la réindustrialisation du pays. En outre, rappelons que la filière nucléaire reste solidement implantée sur le territoire national et qu’elle emploie environ 400 000 salariés.
Alors que l’avenir de la production d’électricité en France requiert une stratégie et un engagement de long terme de la puissance publique, les gouvernements successifs ont, depuis vingt ans, laissé faire les directions d’EDF et d’AREVA et soutenu toute une série d’initiatives qui déstabilisent le secteur et fragilisent sa capacité à répondre aux enjeux. Le Gouvernement actionnaire ne voit dans les entreprises qu’une source de dividendes pour son budget et affaiblit leur capacité à investir pour l’avenir. Les directions d’EDF et d’AREVA ont mené des politiques à courte vue qui ont conduit à la situation actuelle : elles sont concurrentes alors que leurs métiers et leurs compétences sont complémentaires ; elles ne prennent pas en compte les pertes de connaissances et les caractéristiques du tissu industriel ; enfin, les aventures à l’international ont fait perdre beaucoup d’argent.
S’agissant plus précisément d’EDF, le rapport parlementaire de Mme Valter, rendu public le 5 mars 2015, élaboré dans le cadre de la commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité présidée par M. Gaymard, évoque un «État incohérent et perturbateur» qui «a tour à tour considéré EDF soit comme une vache à lait, soit comme un pompier». Après avoir estimé qu’«EDF a supporté – et continue de supporter – des charges de service public», le rapport évoque, à propos de l’État, un «actionnaire faiblement impliqué dans la gestion de l’entreprise», «trop boulimique» et qui, « en dépit de la situation financière de l’entreprise, de son endettement et de son niveau élevé d’investissement, […] continue de prélever un dividende qui contribue au redressement des finances publiques ». L’année 2016 marque, il est vrai, une exception.
À cela s’ajoutent les ravages causés par la déréglementation du secteur énergétique impulsée par l’Europe libérale et mise en œuvre par nos gouvernements. Ce phénomène conduit à une forme de désorganisation et fait courir le risque, à moyen terme, de la survenance de tensions et d’une situation de dépendance énergétique en Europe, tant la vue financière à court terme du marché est inadaptée à une industrie qui demande des investissements conséquents et se caractérise par des retours sur le temps long.
Par ailleurs, le manque de vision de l’État concernant les questions industrielles et, en particulier, le sujet énergétique, est dramatique. Ouverture des concessions hydrauliques à la concurrence, fermeture des moyens thermiques classiques, régionalisation de l’énergie, fermeture – relevant de l’affichage – de moyens de production nucléaire au titre de considérations politiciennes : cela fait tout de même beaucoup !
Enfin, les dernières déclarations de M. Macron en disent long sur sa méconnaissance du sujet. Le ministre de l’économie a en effet mené une charge contre les prétendus avantages des salariés d’EDF, alors que les salaires ne représentent que 9 % du chiffre d’affaires de la société.
C’est ce contexte global qu’il faut appréhender pour apprécier l’opportunité du projet nucléaire anglais de Hinkley Point. Nos analyses ont été élaborées avec les salariés des différents métiers impliqués, qui connaissent particulièrement bien le sujet. Notre raisonnement, qui englobe les volets industriel, social et financier, est partagé par les personnels des entreprises, au vu des résultats de la consultation que nous avons engagée et des réponses que nous avons obtenues. Elles sont également partagées par d’autres organisations syndicales, comme la CGC et FO, dont plusieurs représentants assistent d’ailleurs à notre débat. C’est parce que nous pensons qu’il est impératif pour la filière nucléaire française que la construction du réacteur anglais soit une réussite, que nous devons lancer ce projet en mettant le maximum d’atouts de son côté.
Les réacteurs pressurisés européens – EPR – en construction, et parmi eux celui de Flamanville, subissent des dérives de planning et de coût. Cela n’est pas pour nous étonner, puisqu’à plusieurs reprises nous avons essayé d’alerter sur ce sujet.
Permettez-moi de retracer, en quelques traits, l’histoire de ce dossier. Alors que les équipes françaises ont su construire un parc nucléaire unique au monde et qu’elles commençaient à étudier le modèle suivant, le Président de la République de l’époque a imposé une alliance avec Siemens pour élaborer un modèle franco-allemand. Nous avons alors largement alerté sur cette décision politique dépourvue de réelle vision industrielle. Nous avions prévenu que cette démarche conduirait à complexifier le processus de travail, avec toutes les conséquences négatives que cela peut entraîner.
Entre-temps, Siemens a quitté le navire et les ressources humaines ont subi de plein fouet le moratoire nucléaire, ce qui a entraîné des pertes de compétences précieuses. La désindustrialisation de la France a compromis notre capacité à gérer de grands chantiers et a tari les ressources au sein du tissu industriel des PME-PMI. La désorganisation du travail et la sous-traitance à outrance ont affaibli encore davantage notre capacité à mener à bien ce projet industriel. De fait, nous sommes confrontés non pas à un problème nucléaire, mais bien à un problème industriel.
L’affaiblissement des entreprises et la crise majeure que traverse AREVA ont conduit le Gouvernement à décider d’un sauvetage financier d’AREVA par EDF, avec la prise de contrôle d’AREVA Nuclear Power – AREVA NP. La CGT a montré, non seulement l’opération présentait un caractère essentiellement financier et conduisait à des organisations complexifiées, mais que, de surcroît, aucune stratégie de reconstruction d’une filière du nucléaire n’était envisagée. Ce processus, déjà engagé, est loin d’être stabilisé.
Il nous semble crucial, si nous voulons être en mesure de remettre en ordre de marche la filière nucléaire française, de recréer les collectifs de travail, de mettre de nouveau à disposition les compétences manquantes et d’offrir rapidement des perspectives claires à toute la filière. Nous serons ainsi à même de mener à son terme au mieux le chantier de Flamanville et d’en tirer les premiers retours d’expérience, de concentrer les moyens humains et financiers, au cours des années à venir, au bénéfice de la prolongation du parc nucléaire et de la mise au point d’un EPR optimisé, plus rapide à construire et représentant un outil permettant de renouveler le parc actuel.
C’est ce modèle qui permettrait d’entamer la coopération avec la Grande-Bretagne dans les meilleures conditions, d’ici deux à trois ans, si l’on y met les moyens. On nous dit que ne pas engager ce projet conduirait à tuer la filière nucléaire française. Nous affirmons, pour notre part, que l’échec technique et le préjudice financier – le risque est réel en la matière – porteraient un coup terrible à la filière française. Aussi proposons-nous de renégocier avec le gouvernement britannique sur la base d’un nouveau modèle fondé sur un coût et des délais réalistes.
On nous dit que l’Angleterre pourrait se tourner vers d’autres fournisseurs nucléaires. Lesquels ? Seul l’EPR est certifié par l’autorité de sûreté anglaise et seul EDF possède les terrains préparés et l’autorisation de construire. Si un concurrent voulait mener à bien un tel projet, il serait contraint d’engager des démarches durant plusieurs années.
Tout en étant conscients que cette proposition et les constats que nous dressons s’agissant de l’EPR sont utilisés par ceux qui veulent en finir avec l’industrie nucléaire et avec EDF, nous estimons nécessaire d’exposer, sans rien en dissimuler, la réalité contradictoire de la filière nucléaire, pour éclairer des décisions lourdes de conséquences pour la survie des entreprises EDF et AREVA, et pour l’avenir du système électrique en France.
M. le président. La parole est à M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique.
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’interviendrai en ma qualité de directeur du parc nucléaire et thermique d’EDF ainsi qu’au nom de Xavier Ursat, directeur de l’ingénierie et des projets du «nouveau nucléaire» à EDF.
Je vous remercie tout d’abord de me donner l’occasion de venir exposer notre vision de la filière nucléaire française. Il me semble important, dans un premier temps, de vous parler de cette filière. Je développerai ensuite ce que je considère être un programme industriel dimensionnant en France : le «grand carénage», qui constitue un socle pour la réussite de la transition énergétique. Je terminerai sur le développement du nucléaire, en France et à l’international.
Rappelons tout d’abord que nous assumons aujourd’hui la responsabilité de l’exploitation du premier parc nucléaire au monde. De fait, EDF exploite en France un parc de 58 réacteurs, répartis sur 19 sites, ainsi que 15 réacteurs au Royaume-Uni, par l’intermédiaire d’EDF Energy – à rapporter à un parc mondial qui compte environ 450 réacteurs.
La France maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur de la production nucléaire, de l’extraction de l’uranium à la construction de centrales nucléaires, en passant par la fabrication et le retraitement du combustible, la déconstruction et le conditionnement des déchets. L’indépendance énergétique de la France se trouve donc consolidée par l’autonomie technologique de l’industrie nucléaire, qui maîtrise tous les procédés qu’elle utilise.
En 2015, les 19 centrales nucléaires françaises ont dépassé leur objectif de production en atteignant en toute sûreté près de 417 térawattheures, une performance supérieure aux 416 kilowattheures de l’année précédente, qui était déjà une très bonne année. Nous sommes parvenus à ce résultat grâce à la qualité de préparation des arrêts de tranche, fruit d’une collaboration quotidienne et performante entre nos sites de production, nos centres d’ingénierie et nos partenaires industriels.
Nous avons le souci de l’excellence ; c’est ce qui nous guide, c’est ce qui fait aujourd’hui notre réputation. Notre compétence d’exploitant nucléaire et la performance de notre parc sont reconnues en France et à l’échelle internationale. Nous bénéficions d’un véritable rayonnement sur la scène internationale. Le rôle clé que nous jouons aujourd’hui dans WANO – World Association of nuclear operators, l’Association mondiale des exploitants nucléaires – en témoigne, puisque nous en présidons les destinées depuis maintenant presque dix ans.
Notre parc nucléaire fournit une électricité sûre, bas carbone, compétitive, qui contribue à l’indépendance énergétique de notre pays et autour de laquelle s’est constituée une filière industrielle elle-même exceptionnelle. La filière nucléaire constitue, avec ses 220 000 salariés, le troisième secteur industriel français après l’automobile et l’aéronautique et s’appuie sur un réseau de 2 500 entreprises, dont une part importante d’entreprises de taille intermédiaire, de PME et de PMI bien placées à l’exportation. Il s’agit d’emplois hautement qualifiés dans différents domaines, comme la métallurgie, la mécanique et l’électronique. Ces emplois sont largement répartis sur le territoire français. Une part d’entre eux est locale, située au plus près des centrales, dans des territoires souvent déshérités sur les plans économique et industriel.
Plusieurs États européens – notamment la France et le Royaume-Uni – et américains ont décidé de réaliser d’importants plans d’investissements pour prolonger la durée d’exploitation de leur parc nucléaire en toute sûreté. C’est tout l’enjeu en France du grand carénage, programme industriel qu’a engagé EDF sur son parc nucléaire existant pour le rénover, en augmenter encore la sûreté et prolonger sa durée de fonctionnement. Le caractère exceptionnel de ce programme industriel tient à deux raisons principales : d’une part, le cycle de vie du parc existant, et, d’autre part, les améliorations significatives de sûreté.
S’agissant du cycle de vie des centrales, le parc français a été construit pour l’essentiel sur une période extrêmement courte – une dizaine d’années – à compter du début des années quatre-vingt. Le renouvellement de certains gros composants se trouve donc concentré lui aussi sur une dizaine d’années, environ trente ans plus tard. Concernant par exemple les remplacements des transformateurs de puissance, cinquante-deux opérations sont concentrées sur la période 2015-2019.
En ce qui concerne les améliorations significatives de sûreté, à la suite notamment de l’accident de Fukushima, elles doivent être réalisées suivant un calendrier industriel et réglementaire très exigeant. Les diesels dits d’ultime secours doivent par exemple être opérationnels avant la fin de l’année 2018 pour les 58 réacteurs. À ces améliorations s’ajoutent les avancées significatives qui nous sont demandées en termes de sûreté pour exploiter les réacteurs au-delà des quarante ans, à savoir rapprocher autant que possible le niveau de sûreté des réacteurs existants de celui des réacteurs de troisième génération.
Ce programme visant à permettre la prolongation de la durée de fonctionnement du parc au-delà de quarante ans s’appuie sur une réalité technique déjà mise en œuvre dans d’autres pays tels que la Suisse, la Belgique et les États-Unis. À titre d’exemple, la centrale de Beaver Valley, qui a servi de référence pour notre palier 900 mégawatts, a obtenu de l’équivalent de l’Autorité de sûreté nucléaire aux États-Unis, la NRC – Nuclear Regulatory Commission –, l’extension de licences à soixante ans en 2009.
Le programme grand carénage est un programme industriel d’une ampleur exceptionnelle qui revêt des enjeux importants pour la France. Il permet la transition énergétique, car son engagement est progressif et sera en ligne avec la programmation pluriannuelle de l’énergie prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
L’effort financier du grand carénage représente la solution la plus compétitive pour le client final. Nous optimisons et lissons en permanence notre trajectoire d’investissements. Nous estimons aujourd’hui que ce programme nécessitera environ 51 milliards d’euros d’investissements sur la période 2014-2025, une estimation en diminution par rapport l’estimation initiale de 55 milliards d’euros. Ce montant renvoie à un niveau récurrent d’investissements de maintenance et d’amélioration d’environ 3 milliards d’euros par an sur un parc tel que le nôtre et à des investissements supplémentaires de l’ordre de 1 à 2 milliards d’euros par an liés au caractère exceptionnel du programme. Après 2025, les investissements devraient décroître progressivement pour retrouver le rythme récurrent d’environ 3 milliards d’euros par an à l’horizon de 2030.
Dans son rapport public annuel de 2016, la Cour des comptes avance un montant global de 100 milliards d’euros, mais ce chiffre porte sur un horizon temporel plus éloigné – 2030 – et un périmètre plus large, qui inclut, en sus des investissements, certaines dépenses d’exploitation. La Cour précise d’ailleurs clairement dans son rapport que son estimation est en parfaite cohérence avec le montant de 55 milliards d’euros d’investissements que nous retenons pour la période 2014-2025.
Quel que soit le périmètre de coûts considéré, le nucléaire existant est plus compétitif. Cette approche économique reflète l’intérêt de la collectivité.
Enfin, ces investissements constituent aussi et surtout, en cette période de crise économique, une véritable opportunité pour notre industrie. À titre d’exemple, la première des troisièmes visites décennales des centrales 1 300 mégawatts à Paluel, pour laquelle 28 % des entreprises mobilisées titulaires de marchés sont locales, a donné lieu à 4 millions d’heures de travail environ, 8 000 heures de formation spécifique VD3 prévues en 2015 et, d’un point de vue industriel, à des chantiers d’envergure exceptionnelle tels que le remplacement des quatre générateurs de vapeur.
Ce programme permet de maintenir un haut niveau de qualité de fabrication, d’exploitation et de savoir-faire dans un contexte de plus en plus exigeant. Pour accompagner ce programme industriel, dès janvier 2012, l’État a demandé au comité stratégique de la filière nucléaire de rédiger un cahier des charges social. Ce dernier traite des conditions d’exercice de la sous-traitance au sein des installations nucléaires de base exploitées par AREVA, l’ANDRA – l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs –, le CEA – le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – et EDF. Il est applicable sur nos marchés depuis janvier 2013. C’est un document engageant à la fois pour nous, les exploitants nucléaires, et pour les prestataires.
L’ensemble de ces dispositions accompagne un programme d’investissements d’ampleur qui doit nous permettre de développer un nouveau nucléaire sûr, propre et compétitif, de façon à nous mettre en situation de renouveler tout ou partie de notre parc nucléaire à partir de la fin des années 2020. Ce développement d’un nouveau nucléaire passe prioritairement par la finalisation du projet Flamanville 3. Mener ce projet à son terme dans le cadre du nouvel échéancier annoncé est une priorité absolue pour nous tous. Toute l’expérience acquise bénéficiera aux projets d’EPR à venir, au premier rang desquels Hinkley Point, en Grande-Bretagne, et à la préparation de l’EPR nouveau modèle, qui sera le fer de lance du renouvellement total ou partiel du parc existant. La crédibilité d’EDF en tant qu’exploitant nucléaire de premier plan sera renforcée par la réalisation de nos nouveaux réacteurs, tant à l’international qu’en France, qui permettront de fournir dans de nombreux endroits du monde une électricité sûre, compétitive, bas carbone et porteuse d’emplois.
M. le président. La parole est à M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech.
M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis très heureux d’être convié à partager avec vous quelques réflexions d’économiste sur l’avenir du nucléaire.
Je dispose de cinq minutes, qui seront bien suffisantes pour aborder cinq points.
Premier point, le nucléaire existant a un avenir. Il ne faudrait pas se focaliser uniquement sur la construction de nouveaux réacteurs, car du point de vue macroéconomique, c’est-à-dire pour ce qui concerne la situation de l’emploi, des entreprises et des ménages, le futur du nucléaire est lié à l’exploitation du nucléaire existant, qui est le moyen le plus économique pour produire de l’électricité par rapport à l’ensemble des technologies concurrentes ou par rapport à de nouveaux concurrents. Le futur du nucléaire français, c’est donc aussi le nucléaire existant.
Deuxième point, le nouveau nucléaire bascule hors de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques. Historiquement, 80 % de la flotte de centrales nucléaires est installée dans les pays de l’OCDE. L’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’à l’horizon de 2040, trois quarts des nouvelles capacités seront installées dans les pays hors OCDE. Par conséquent, les entreprises de la filière doivent suivre ce déplacement de la demande.
Troisième point, le futur du nouveau nucléaire dépend des autorités de sûreté. Le coût de construction dépendra bien évidemment des exigences et de la façon de travailler des autorités de sûreté, de la façon dont elles se coordonnent et se complètent les unes les autres. La filière nucléaire française pourrait également être touchée par une nouvelle catastrophe qui se déroulerait à des dizaines de milliers de kilomètres. La France doit donc faire en sorte que des autorités de sûreté puissantes, compétentes, indépendantes, transparentes œuvrent sur l’ensemble de la planète, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ; je pense en particulier à l’Arménie, à l’Ukraine ou au Pakistan.
Quatrième point, consolider le futur du nucléaire nécessite de conjurer la malédiction des coûts croissants. Historiquement, on observe qu’aux États-Unis le coût fixe de construction par kilowatt ou par mégawatt augmente en monnaie constante. Dans le cas français, il n’augmente pas ou très faiblement, mais il ne diminue pas non plus, alors qu’on parvient à diminuer le coût fixe d’installation par kilowatt des technologies concurrentes grâce à des effets d’apprentissage. La compétitivité relative du nucléaire, donc le futur du nucléaire, dépend de la façon dont les industriels réussiront à conjurer cette malédiction des coûts croissants qui implique qu’un nouveau modèle de réacteur est toujours plus cher à construire qu’un ancien modèle. Les mots clés de cette réussite sont la standardisation, l’optimisation et la modularité.
Cinquième et dernier point, l’avenir du nucléaire sera facilité par la globalisation de son industrie et de son commerce. L’avenir du nucléaire national passe à mes yeux par des alliances internationales et la participation à des consortiums internationaux. Il faut faire attention à l’image, trop souvent utilisée, par facilité, d’une «équipe de France». Certes, les entreprises de la filière du nucléaire en France doivent mieux coopérer, mieux travailler ensemble, et être plus solidaires entre elles, mais les entreprises françaises de la filière nucléaire doivent aussi coopérer avec des entreprises étrangères. La globalisation de cette industrie permettra en effet de réaliser des gains en termes d’efficacité et constitue une des options pour la réduction des coûts de la construction de nouvelles unités.
M. le président. Afin que les échanges soient les plus interactifs possible, je vais à présent donner la parole à M. André Chassaigne, qui est à l’origine de ce débat.
M. André Chassaigne. J’aimerais tout d’abord, au nom des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, remercier vivement les intervenants d’avoir répondu à notre invitation pour débattre avec nous ce soir de l’avenir de la filière nucléaire, secteur qui connaît une situation financière préoccupante.
L’actualité nous porte naturellement à centrer notre propos sur la situation d’EDF. Le groupe doit en effet résoudre une équation financière compliquée. Il est appelé au sauvetage d’AREVA et il doit supporter la charge du chantier grand carénage, c’est-à-dire la maintenance de ses 58 réacteurs nucléaires pour que ses derniers puissent fonctionner au-delà des quarante années pour lesquelles ils avaient été conçus. Il faut ajouter à cela le projet Hinkley Point.
Dans ce contexte, ma première question porte sur la situation financière et les effectifs d’EDF. Le groupe a confirmé en janvier dernier, lors d’un comité central d’entreprise, qu’il allait supprimer 5 % de ses effectifs en France, soit 3 350 postes qui ne seront pas remplacés d’ici à 2018. Pour justifier ces suppressions de postes, la direction d’EDF évoque la nécessité d’optimiser ses ressources et de réduire ses dépenses d’exploitation dans le cadre de la mise en place de son plan stratégique cap 2030.
Les décisions stratégiques en matière d’énergie sont nombreuses depuis le début des années 2000 : l’ouverture à la concurrence pour les fournisseurs d’énergie, dont les syndicats estiment qu’elle a fait grimper les prix de l’électricité et du gaz, l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques, que Bruxelles appelle de ses vœux, ainsi que l’éclatement du groupe en petites entités à la faveur de la diversification de ses activités.
Auditionné la semaine dernière par la commission des affaires économiques de notre assemblée, le ministre de l’économie a mentionné le chiffre de 4 200 suppressions de postes dans tous les secteurs de l’entreprise, y compris la recherche. Il a souligné que ces suppressions d’effectifs seraient toutefois compatibles avec la sûreté nucléaire.
Pouvez-vous nous préciser quelles sont les intentions de la direction s’agissant d’une décision qui semble répondre davantage à une logique financière qu’à des préoccupations industrielles ou à un objectif d’amélioration de l’offre de service public ? Vous l’aurez compris, cette question s’adresse aux représentants de la direction du groupe, MM. Dominique Minière et Xavier Ursat.
M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Nous sommes confrontés, probablement pour quelques années, à des prix de marché bas : alors qu’ils étaient encore, il y a quelques semaines, de 40 euros environ le mégawattheure, ils se situent désormais aux alentours de 26 euros. En outre, la partie de nos ventes exposée aux prix de marché est plus importante qu’auparavant. Cette situation s’explique d’abord par la baisse des prix des commodités, c’est-à-dire le pétrole et surtout le gaz et le charbon. Le prix de marché est en effet basé sur le coût marginal de production du mégawattheure à partir du charbon ou du gaz. Or, comme le prix de ces matières a beaucoup diminué récemment, celui de l’électricité est tombé à 26 euros environ le mégawattheure. Cette évolution affecte non seulement EDF, mais aussi l’ensemble des énergéticiens en Europe et dans le monde. Plusieurs grands pétroliers réduisent actuellement leurs dépenses d’exploration et de production afin de se consacrer uniquement à la production pour un certain nombre de mois voire d’années.
Cette période de prix de marché bas durera probablement deux ou trois ans. Pour faire face à cette situation, nous devons réduire nos dépenses d’exploitation – tout en préservant, bien sûr, la sûreté de nos installations. Nous avons commencé à y travailler dans le détail, tout en sachant que nos dépenses d’exploitation comportent deux composantes : la masse salariale et les achats externes. Les réduire supposera donc probablement – nous avons commencé à y réfléchir – de procéder à une réduction des effectifs, qui exclura toutefois tout plan de licenciement : il s’agirait de ne compenser qu’en partie les départs en retraite. Par ailleurs, nous devrons procéder à une certaine optimisation de nos achats d’exploitation au cours des années à venir.
M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.
M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. J’ajoute à ce que vient de dire M. Minière que cette trajectoire de réduction d’effectifs par départs volontaires n’affecte en aucun cas la sûreté nucléaire ni même l’exploitation nucléaire au sens large et est complètement en ligne avec nos projets d’ingénierie nucléaire en général. Il faut également souligner que cette réduction des effectifs a lieu après que ces derniers ont connu une très forte augmentation, due en particulier à de nombreux départs en retraite qui se sont traduits par un important et nécessaire renouvellement des compétences au sein d’EDF entre 2009 et 2015. Au cours de cette période, nous avons ainsi mis le pied à l’étrier de toute une jeune génération.
M. le président. La parole est à M. Denis Baupin.
M. Denis Baupin. Je croyais que cette séance était consacrée à AREVA mais j’ai l’impression que son ordre du jour a un peu évolué !
M. le président. Tout dépend de vos questions, cher collègue !
M. Denis Baupin. Certes, mais faute d’intervenants issus d’AREVA, il faudra s’adapter. Cela dit, j’ai plusieurs questions à poser, en particulier à M. Minière.
Premièrement, vous affirmez, monsieur Minière, que l’énergie nucléaire concourt à l’indépendance nationale de la France. Pouvez-vous indiquer la part de l’uranium extrait en France utilisée dans les centrales nucléaires françaises ?
Ma deuxième question porte également sur l’indépendance nationale. Le ministre de l’économie a indiqué la semaine dernière en commission que la cuve du réacteur d’Hinkley Point, s’il est construit, serait construite non pas au Creusot mais au Japon. Pouvez-vous confirmer cette information et expliquer pourquoi si tel est le cas ?
Troisièmement, vous avez fait référence, pour justifier la prolongation des réacteurs, aux décisions prises aux États-Unis à propos de réacteurs semblables aux réacteurs de 900 mégawatts qui se trouvent en France. Proposez-vous que l’Autorité de sûreté nucléaire abandonne son référentiel de sûreté au profit de celui des États-Unis ? Je n’ai pas bien saisi la comparaison que vous avez établie. Compte tenu de l’énorme différence séparant ces référentiels de sûreté, se baser sur des décisions prises aux États-Unis pour en prendre en France ne me semble pas recevable.
Quant à l’EPR nouveau modèle, dont il paraît qu’il faut désormais l’appeler «EPR 2.0», dans quels délais pensez-vous obtenir l’aval de l’Autorité de sûreté nucléaire sur son modèle ? Quelle durée de construction envisagez-vous pour ces nouveaux réacteurs ? Quel sera le coût du mégawattheure produit par les EPR nouveau modèle ?
Vous avez par ailleurs fait allusion aux diesels de secours à propos des évolutions faisant suite à la catastrophe de Fukushima. Que pouvez-vous dire des notes internes relatives aux diesels de secours du parc EDF, plutôt alarmantes, publiées récemment dans la presse ? J’entends bien qu’elles relèvent en partie de l’alerte interne en la matière mais leur contenu, à propos d’équipements essentiels en cas d’accident, n’est pas très rassurant.
Je souhaite également poser une question à M. Levêque.
Vous avez indiqué que le parc nucléaire existant – et prolongé, j’imagine – constitue la façon la plus compétitive de produire de l’électricité, à périmètre constant et sans prendre en compte les coûts d’assurance. Pouvez-vous indiquer sur quelle base – en particulier quel prix du mégawattheure nucléaire, éolien ou solaire – vous avancez cette affirmation qui me semble légèrement péremptoire ?
Ma dernière question porte sur AREVA, mais je ne sais si quelqu’un pourra y répondre. De quelle évaluation disposons-nous en ce qui concerne l’aval du cycle nucléaire ? La France est le seul pays ayant choisi de procéder au retraitement de l’uranium par fabrication du MOX et stockage à Bure. Quelle est la rentabilité de cette solution par rapport au stockage direct des combustibles usés ? Les autres pays, notamment les États-Unis, ont récemment décidé d’abandonner cette partie de la filière car elle n’est pas rentable. Ne serait-il pas pertinent que la France s’interroge sur l’impact socio-économique et le coût, y compris pour la filière nucléaire d’ailleurs, du maintien sous cette forme de l’aval du cycle nucléaire ?
M. le président. La parole est à M. François Lévêque.
M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. La question qui m’est adressée par le député Denis Baupin m’invite à expliquer pourquoi le parc nucléaire existant produit un kilowattheure meilleur marché que celui produit par toutes les solutions alternatives possibles. Parce qu’il existe, tout simplement ! Les centrales existent d’ores et déjà et l’Autorité de sûreté nucléaire se prononce sur sa sûreté – positivement ou négativement, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, elles existent et l’exploitant considère qu’il est rentable de les faire tourner pour produire des kilowattheures. S’ils ne sont pas produits par ce qui existe, il faut les remplacer en construisant du neuf. Or les nouvelles installations, qu’elles soient nucléaires, éoliennes, solaires ou gazières, coûtent toujours plus cher que l’existant. Le mégawattheure produit dans ce cas coûte entre 80 et 130 euros.
M. Denis Baupin. Dans quelle filière ?
M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Toutes : entre 90 et 100 euros dans la filière nucléaire, entre 80 et 110 euros dans l’éolien onshore selon le vent…
M. Denis Baupin. Il y a toujours du vent !
M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. …et beaucoup plus dans la filière solaire. Grâce à l’Agence internationale de l’énergie, entre autres, nous disposons de connaissances très précises sur les coûts de production du neuf, qui diffèrent de ceux de l’ancien. Le meilleur investissement possible pour produire des kilowattheures, c’est le grand carénage qui, ramené à la production, aboutit à environ 10 euros le mégawattheure. Rien n’est plus économique que de dépenser 55 milliards d’euros pour produire un mégawattheure à 10 euros.
M. Denis Baupin. La Cour des comptes, qui évoque 60 milliards d’euros, s’est donc complètement trompée ?
M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Il n’y a donc pas plus économique, y compris les mesures d’efficacité énergétique. En effet, s’il est évidemment préférable de produire des «négawattheures», c’est-à-dire d’investir pour réduire la consommation d’électricité, cette réduction suppose toutefois des investissements plus importants que la rénovation de l’existant. Si une centrale fonctionne et qu’une autorité – pas n’importe laquelle, en l’occurrence, puisque nous parlons de l’Autorité de sûreté nucléaire française – considère que sa sûreté est satisfaisante, le plus économique est de la maintenir en fonctionnement afin qu’elle continue à produire de l’électricité. Tel était le sens de mon raisonnement, purement économique.
M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Je répondrai à trois questions et laisserai M. Ursat répondre aux deux questions relatives à la cuve du réacteur d’Hinkley Point et à l’EPR nouveau modèle. À propos de la part d’uranium extraite en France, il faut évaluer la dépendance énergétique par rapport à celle que nous avons à l’égard du gaz, du pétrole et des autres sources d’énergie. Il n’y a pas plus d’uranium que de gaz ou de pétrole extrait en France.
M. Denis Baupin. Mais si !
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Seules les parts respectives de l’uranium et du gaz – par exemple – dans le prix du mégawattheure électrique diffèrent. La part du gaz est de près de 60 % du coût de production, celle de l’uranium pur, sans compter le traitement ni l’enrichissement, est de l’ordre de 3 %. Là réside la vraie indépendance énergétique car on trouve de l’uranium en grande quantité partout dans le monde, en particulier dans des pays stables politiquement comme le Canada, l’Australie, certains pays d’Afrique et le Kazakhstan où se trouvent de grandes mines. En outre, la production de nos 420 térawattheures n’exige pas une grande quantité d’uranium.
Quant au référentiel de sûreté français, il n’est pas question de le remettre en cause. En tant qu’exploitant, nous sommes les premiers responsables de la sûreté nucléaire et adhérons pleinement au référentiel de sûreté nucléaire français qui consiste à améliorer régulièrement le niveau de sûreté de nos réacteurs. En effet, notre logique consiste non pas à maintenir le niveau de sûreté mais à l’augmenter tous les dix ans, ce qui est très important pour l’acceptation du nucléaire dans notre pays, comme pour la sûreté nucléaire d’ailleurs. Je rappelle à titre d’exemple que nous avons divisé par dix le risque de fusion du cœur en trente ans.
Cela étant, d’un point de vue technique, les composants non remplaçables des centrales françaises et américaines, c’est-à-dire la cuve du réacteur et l’enceinte de confinement, sont identiques et on constate que les Américains, dont les cuves sont d’une qualité un peu moins bonne que celle des nôtres, ont obtenu l’accord permettant de les utiliser jusqu’à leurs soixante ans. De même, en Belgique, plusieurs réacteurs ont obtenu l’autorisation d’atteindre cinquante ans de fonctionnement.
M. Denis Baupin. Par exemple ?
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Tihange 1 ainsi que Doel 1 et Doel 2 ont l’autorisation de fonctionner jusqu’à leurs cinquante ans. En Suisse également, plusieurs réacteurs fonctionneront jusqu’à leurs cinquante ans.
M. Denis Baupin. On verra !
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Lorsque nous procéderons à la quatrième visite décennale, nous demanderons l’autorisation de prolonger la durée de fonctionnement non pas de vingt ans mais de dix ans supplémentaires. En effet, tous les dix ans, nous devons démontrer que la centrale peut fonctionner pendant dix années supplémentaires. Nous l’avons fait lors de la troisième visite décennale des réacteurs de 900 mégawatts et 1 300 mégawatts ; nous le ferons de nouveau lors de la quatrième visite décennale et, pour ceux qui la réussiront, lors de la cinquième. Le référentiel français n’est pas du tout remis en cause.
Au sujet des diesels de secours et d’ultime secours, vous avez fait allusion, monsieur le député, aux fameuses notes parues dans la presse, dans le Journal de l’énergie me semble-t-il. Elles traitent directement de la méthode de maintenance que nous suivons dorénavant pour surveiller nos diesels. La méthode de maintenance classique s’apparente à celle d’une voiture, qui après 7 500 kilomètres doit subir une vidange et certains actes de maintenance. La méthode que nous suivons dorénavant permet d’anticiper certaines visites en fonction des composants considérés. Certaines auront lieu à l’instant précis qui a été prévu, d’autres pourront être différées selon qu’on est en code rouge, orange ou vert – ces codes de couleur sont à présent assez traditionnels, et sont utilisés notamment en France et aux États-Unis dans le cadre de ce que l’on appelle la «maintenance prédictive», par opposition à la maintenance préventive.
Les termes affichés en face des couleurs et employés par nos ingénieurs peuvent certes être un peu anxiogènes, mais cela ne remet à aucun moment en cause la sûreté du diesel au moment où l’on en a besoin. Nous testons régulièrement nos diesels de secours et leur fiabilité est dix fois supérieure aujourd’hui à la moyenne mondiale – ce sont des données auxquelles nous avons accès puisque, comme je le disais tout à l’heure, nous faisons partie de l’Association mondiale des opérateurs nucléaires.
En ce qui concerne le MOX, la question est moins, selon moi, celle de sa rentabilité que de l’acceptabilité et du recyclage. Nous souhaitons beaucoup recycler dans le nucléaire, de manière à réduire le volume des déchets, préoccupation qui, je pense, nous honore et qui est largement partagée, j’espère, dans cette assemblée.
Pour cela, il y a le retraitement, qui nous permet d’extraire le matériau le plus longtemps radioactif, le plutonium, pour le réutiliser dans nos assemblages MOX. Nous recyclons ainsi une grande quantité de matière. C’est pour cette raison que l’on fait du retraitement, pas uniquement dans un souci de rentabilité économique.
M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.
M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. Pour Hinkley Point, nous avons choisi de faire forger le couvercle et le fond de la cuve des deux réacteurs au Japon. Je crois beaucoup à la coopération nucléaire internationale – François Lévêque en a parlé tout à l’heure.
La France coopère historiquement de façon importante avec la Chine et avec le Japon. Vous savez qu’AREVA a co-développé il y a plusieurs années avec l’industrie japonaise un modèle qui s’appelle l’ATMEA. Ce modèle a des perspectives intéressantes dans plusieurs pays dans le monde, en particulier un projet très concret et d’ores et déjà financé en Turquie, qui pourrait servir de base au renouvellement du parc nucléaire japonais le moment venu.
Le fait d’entretenir une coopération intense et importante avec le Japon a clairement un intérêt pour l’avenir de la filière nucléaire française. Il se trouve, par ailleurs, que les Japonais disposent de forges de très grande taille, qui sont très adaptées à la fabrication de pièces comme le fond et le couvercle de la cuve d’un EPR, qui sont des pièces de grande taille. Nous leur avons donc confié le forgeage de ces pièces, mais la réalisation sera en très grande partie assurée dans les usines d’AREVA en France. Pour mémoire, la réalisation d’un fond et d’un couvercle de cuve représente environ 1 % du coût de la prestation d’AREVA sur un îlot nucléaire. Un tel choix n’a donc pas une incidence économique considérable mais permet d’entretenir des liens intéressants avec une industrie sidérurgique qui est tout de même l’une des meilleures du monde.
L’objectif premier de l’EPR nouveau modèle – c’est son nom officiel pour le moment, nous verrons le jour venu comment on le baptisera exactement – est de réduire les coûts, en partant de l’EPR et en modifiant le moins possible le design.
Cela nous renvoie directement à la question qui a été abordée tout à l’heure, à savoir : comment faire une génération moins chère que la précédente, dans la perspective du renouvellement du parc nucléaire français, avec les premières mises en service à la fin de la décennie 2020 ? Des équipes communes d’EDF et d’AREVA travaillent sur ce projet. Il y a plusieurs pistes : quelques modifications de design, mais surtout l’industrialisation et la standardisation des équipements, en travaillant, dès l’origine, avec les fournisseurs.
Prenez cette réponse avec les précautions d’usage puisque nous sommes encore en train d’en discuter avec l’Autorité de sûreté mais l’idée serait d’avoir une première étape de licensing de ce réacteur dans les trois ans, de manière à pouvoir ensuite choisir un site et démarrer un chantier au début de la décennie prochaine.
Ce réacteur, nous devons pouvoir le réaliser en plusieurs exemplaires. Pour faire du nucléaire pas trop cher, il faut faire du copier-coller, et non réinventer la poudre à chaque fois que l’on construit un réacteur. Notre objectif, pour l’EPR-NM, est donc de mettre en service un réacteur à la fin de la prochaine décennie.
Je ne peux pas vous donner de coût précis parce que cela fait encore partie des secrets industriels mais cela veut dire clairement un coût total de moins de 70 euros le mégawattheure, incluant évidemment tous les engagements liés au nucléaire, pour une durée de réalisation entre le premier béton de sûreté et la mise en service à pleine puissance inférieure à six ans.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.
M. Jean-Paul Chanteguet. J’aimerais vous interroger sur les délais de mise en service et sur les coûts de l’EPR de Flamanville. On nous parle aujourd’hui de 2020. L’objectif sera-t-il tenu ? C’est malgré tout relativement lointain puisqu’il devait être mis en service en 2012. Quant au coût, il devait être de 3,2 milliards, c’est peut-être 10 milliards aujourd’hui. S’arrêtera-t-on à ce chiffre, qui est tout de même particulièrement impressionnant ?
On a parlé du renouvellement du parc nucléaire français, d’EPR nouveau modèle. Si, demain, on construit une centrale ou des EPR, les construira-t-on sur les sites nucléaires actuels ou cherchera-t-on d’autres sites ?
Je rappelle qu’il y avait un second projet d’EPR, celui de Penly. La décision avait été prise par le président Sarkozy ; le président Hollande a pour sa part décidé d’abandonner le projet. Ce second EPR était-il nécessaire ? On n’avait pas estimé les besoins électriques. C’était une décision à caractère politique, comme l’ont toujours été les décisions dans le domaine du nucléaire.
On a évoqué le coût du mégawattheure. Prend-on bien en compte tous les coûts ? On a parlé bien sûr du grand carénage, du démantèlement, du coût de gestion des déchets radioactifs. EDF a-t-elle provisionné correctement tous ces coûts ?
Ma dernière question concerne le démantèlement des centrales nucléaires. Pour moi, c’est une grande inquiétude.
Un certain nombre de réacteurs ont été arrêtés. Le plus ancien, c’est celui de Brennilis, dont on parle toujours. Ce petit réacteur – sa puissance était de 70 mégawatts – n’est toujours pas démantelé. D’autres réacteurs ont également été arrêtés. À ma connaissance, ils ne sont pas non plus démantelés et j’aimerais bien savoir comment on fera demain pour démanteler nos 58 réacteurs lorsqu’ils seront arrêtés. Dans quels délais le ferons-nous, combien cela coûtera-t-il à EDF ou, plutôt, à la collectivité ?
Si, financièrement et techniquement, nous n’en sommes pas capables, nous savons comment les choses se termineront. On fera comme à Tchernobyl, c’est-à-dire qu’on construira au-dessus d’eux une grande coque. On les isolera mais on ne les démantèlera pas, et c’est pour moi une grande inquiétude.
M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.
M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. Nous avons annoncé le 3 septembre un planning sur le projet de Flamanville 3. Il y a déjà eu plusieurs reports mais nous nous tenons à ce dernier planning.
Nous avions prévu pour le 31 mars de cette année la fin de la construction du circuit primaire principal. Elle est terminée depuis le début du mois. Il nous restera une reprise d’une soudure à réaliser, ce qui sera fait dans les mois qui viennent. Il y aura ensuite, le 31 mars 2017, dans un an, la fin de la construction de l’aménagement, le début des chasses en cuve, les essais à froid, la mise en pression de l’installation dans les conditions réelles mais à froid pour commencer. Selon les informations dont je dispose et une revue de projet que j’ai encore faite la semaine dernière, nous pouvons parfaitement atteindre cet objectif. Il y aura enfin le chargement du combustible puis le démarrage de l’installation au quatrième trimestre de 2018.
Pour un projet qui a connu déjà de nombreux reports, il nous paraît fondamental de respecter le planning. L’ensemble des fournisseurs travaillent en ce sens. Les délais sont tenus depuis que nous l’avons annoncé début septembre et j’ai toutes les raisons de penser qu’ils le seront jusqu’au bout.
Pour le coût, nous avons annoncé 10,5 milliards, ce qui est évidemment très élevé, en raison des reports multiples qu’a connus le projet dans le passé. Celui-ci est aujourd’hui réalisé à 75 % et nous avons toutes les raisons de penser que le coût que nous avons annoncé sera tenu. Nous en aurons la quasi-certitude au début de l’année prochaine puisque nous aurons presque fini l’intégralité de la construction, la phase d’essais ne demandant pas de ressources significatives.
Pour le renouvellement du parc, notre stratégie actuelle est d’utiliser les sites nucléaires existants et le foncier disponible, en particulier au sein d’EDF.
M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Le projet de Penly 3 a été lancé à une époque où les débats sur la transition énergétique n’avaient pas eu lieu. Ces débats permettent de mieux voir vers quelle énergie et quel mix énergétique on s’oriente dans les années à venir.
L’intérêt de ce projet pour nous, en tant qu’industriels, était de poursuivre la filière industrielle de construction de réacteurs. Je pense que l’on n’a pas suffisamment rappelé à quel point le fait d’arrêter de construire des réacteurs pendant quinze ans a posé problème quand il s’est agi de construire un nouveau réacteur comme celui de Flamanville 3. Nos collègues chinois, qui construisent des réacteurs depuis plusieurs dizaines d’années de façon continue, ont eu probablement moins de difficultés à Taishan. D’où l’importance de continuer de construire dans la période qui vient, notamment dans les dix prochaines années, de manière à ne pas reperdre cette filière industrielle que nous avons recréée pour faire du nouveau nucléaire.
Tous les coûts sont-ils pris en compte ? Un rapport de la Cour des comptes montre bien que tel est le cas et qu’il n’y a pas de coûts cachés. Même si l’on imaginait des coûts de stockage de déchets ou de déconstruction plus élevés, l’impact en euros par mégawattheure serait relativement faible, de l’ordre de 5 %. Le rapport de la Cour des comptes en la matière est extrêmement clair.
Quant à la déconstruction elle-même, paradoxalement, il est plus compliqué de déconstruire les réacteurs de première génération que ceux de deuxième génération.
Sont aujourd’hui en déconstruction Brennilis, des réacteurs à l’uranium naturel graphite gaz, ceux de Saint-Laurent, de Chinon et du Bugey, et le réacteur de Chooz A, réacteur à eau pressurisée comme les 58 réacteurs existants. Comme on le constate aussi aux États-Unis, il est plus facile de déconstruire des réacteurs à eau pressurisée. Pour celui de Chooz A, il n’y a pas de retard, tout se passe comme on avait prévu. C’est plus compliqué de trouver les bonnes techniques de déconstruction pour des réacteurs comme celui de Brennilis, à eau lourde, ce qui est un autre type de technique.
C’est effectivement plus compliqué de déconstruire les réacteurs de première génération, non pas globalement mais surtout la partie pile, c’est-à-dire l’empilement de graphite, et il faut regarder avec précision comment on va la déconstruire. Dans de nombreux endroits dans le monde, elle n’est pas déconstruite aujourd’hui. On fait ce qu’on appelle un safe storage, on la met en cocon pendant soixante ans avant d’y revenir. Notre objectif, dans l’esprit de la loi française, est de déconstruire au contraire le plus rapidement possible, avec la meilleure technique.
M. le président. La parole est à M. François Lévêque.
M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Ma remarque sonnera sans doute, dans vos oreilles, comme un plaidoyer pro domo.
J’ai bien compris ce que vous entendiez par décision politique. J’ai un grand respect, une grande admiration pour les décideurs politiques, dont le métier est beaucoup plus difficile que celui des économistes et des experts, lesquels ne prennent jamais de décision mais disent parfois – je ne crois pas que ce soit mon cas – ce que les autres devraient faire.
Dans tout ce qui touche au nucléaire, il est extrêmement important d’informer la décision politique par l’économie. Je ne veux pas dire qu’il faille prendre cette décision en fonction d’une analyse coût-bénéfice réalisée par des économistes, mais que vous sachiez, mesdames, messieurs les députés, qu’une décision – par exemple faire passer à 50 % la part du nucléaire dans la production énergétique d’ici à 2025 ou encore remonter le plafond du parc existant – coûtera telle ou telle somme. Que cette décision coûte 10 millions d’euros ou bien qu’elle permette d’en gagner 30 ou d’en perdre 100, il faut que vous ayez des ordres de grandeur.
Or, à ma connaissance, tant pour le plafond de la capacité nucléaire en France que pour l’objectif des 50 % en 2025, les calculs économiques n’ont pas vraiment été faits. Je termine sur ce plaidoyer pro domo, en faveur d’une information : la décision politique doit aussi se fonder sur le calcul économique. Des anciens, comme Marcel Boiteux ou Maurice Allais, en ont fait. Il peut, je le répète, contribuer modestement à la prise de décision politique.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Cailletaud.
Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT. Même si elle ne m’était pas adressée, je voudrais revenir sur la question de la baisse des effectifs. Il est vrai que la situation d’EDF, comme celle d’autres grands énergéticiens, est difficile, à cause notamment du paramètre que vous avez rappelé, à savoir la situation du marché, mais également de la déréglementation et des politiques des gouvernements et des directions successifs, que je ne souhaite pas exonérer ici. La baisse des effectifs d’EDF, par exemple, est due à la perte des parts de marché liée à la fin des tarifs réglementés pour les gros consommateurs au 1er janvier 2016.
Pourtant, l’électricité continuera d’être vendue et il y aura donc toujours des emplois. Ils ne seront plus chez EDF, mais ailleurs – entre autres, dans des entreprises où les salariés n’ont pas le statut. Cette situation va conduire à transférer des emplois statutaires vers des emplois non statutaires. C’est ce qui s’est passé avec l’ouverture à la concurrence de France Télécom ; c’est aussi ce qui se passera à la SNCF. Ce phénomène tend à réduire les emplois statutaires et à appauvrir, de fait, le service public.
La situation du secteur de la recherche, qui fait partie des premiers touchés, témoigne de la schizophrénie de l’État actionnaire : d’un côté, en effet, le Président de la République met en avant la nécessité de la recherche – lors de la COP21, mais aussi à l’occasion de ses vœux aux forces vives de la nation, au Conseil économique, social et environnemental –, tandis que, de l’autre, la politique qu’il conduit entraîne une baisse conséquente des effectifs.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Je vous remercie, madame, messieurs, de vos réponses. Nous parlons de transition énergétique et de mix énergétique, mais nous avons besoin, dans ce cadre, du nucléaire.
Monsieur Lévêque, vous avez parlé de la malédiction des coûts croissants, non seulement à cause de la hausse des coûts d’exploitation, liés à l’entretien et à la nécessité de faire des travaux pour garantir la sécurité, mais aussi parce que le fait de n’avoir que de nouvelles installations pourrait coûter encore plus cher que le maintien des installations existantes.
Le Gouvernement a dit que l’on ouvrirait de nouvelles centrales, une fois que nous serions arrivés au bout des anciennes. Mais quelle est, pour la direction de l’entreprise elle-même, la bonne stratégie de renouvellement du parc nucléaire ?
Vous avez évoqué des pays où les autorités de sûreté indépendantes n’existent pas : quel chemin emprunter pour parvenir à créer ces autorités dans les pays qui produisent de l’énergie nucléaire ?
Enfin, alors que les départs en retraite sont nombreux, comment préserver le savoir-faire, la connaissance collective et, pour ainsi dire, l’héritage de l’entreprise ?
M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.
M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. S’agissant de la stratégie de renouvellement du parc que j’ai commencé d’esquisser tout à l’heure, il existe de notre point de vue plusieurs conditions.
Tout d’abord, il faut disposer d’un nouveau modèle sur le marché. D’où l’idée, à partir de l’EPR, de construire l’EPR NM, un modèle un peu plus simple et plus industrialisé, doté de moins de références d’objets à l’intérieur de l’installation, pour le rendre plus facile et moins cher à construire, et afin de mieux maîtriser le planning de construction.
Deuxièmement, il faut disposer d’une filière bien organisée, avec des acteurs ayant l’habitude de travailler en collaboration et de se partager les rôles de manière harmonieuse. La filière avait un peu perdu cette habitude, comme le disait Dominique Minière tout à l’heure, car elle avait construit peu de centrales pendant un certain nombre d’années avant de se lancer dans la construction de Flamanville. Elle a douloureusement appris de cette expérience, mais elle est désormais de nouveau bien organisée. Le projet Hinkley Point lui fournit également, de ce point de vue, une bonne occasion qui lui permettra d’être performante dans la perspective d’un renouvellement du parc nucléaire français, pour lequel des chantiers s’ouvriront entre 2022 et la fin de la prochaine décennie.
Troisièmement, il faut refaire ce que nous avons fait au moment de la création du parc : des standards et des paliers. Au moment de la construction de l’EPR NM, il faudra essayer d’en construire un nombre significatif exactement sur le même modèle, par copier-coller, de sorte que la construction du dixième coûtera significativement moins cher que celle du premier.
À ces trois conditions, nous pourrons renouveler le parc nucléaire français et assister aux premières mises en service vers 2028 ou 2029, dans des conditions de marché correctes. Nous mettrons peut-être également fin à la malédiction dont M. Lévêque parlait tout à l’heure, en obtenant une génération moins chère que la précédente. C’est, en tout cas, ce à quoi nous travaillons.
M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.
M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. S’agissant des deux autres questions, il est difficile pour un exploitant de se prononcer sur la meilleure manière de disposer d’autorités de sûreté indépendantes dans d’autres pays. En matière de sûreté nucléaire, trois acteurs sont essentiels : les États, les autorités de sûreté et l’exploitant, qui est toujours le premier responsable de la sûreté de ses réacteurs. Nous essayons de fédérer ces acteurs autour d’une gouvernance commune, chacun à leur niveau.
S’agissant des États, l’Agence internationale de l’énergie atomique – l’AIEA – définit, en matière de sûreté, des règles devant s’appliquer dans tous les États qui y sont fédérés.
Au niveau des exploitants, nous avons une place privilégiée dans l’Association mondiale des exploitants nucléaires – WANO, en anglais –, créée juste après l’accident de Tchernobyl. Elle employait alors environ 90 personnes en permanence. Aujourd’hui, après sa rénovation, à la suite de l’accident de Fukushima, plus de 450 personnes se consacrent à des contrôles entre pairs – car nous nous contrôlons entre nous pour faire progresser la sûreté dans le monde. De fait, un accident nucléaire, où que ce soit, est un accident pour le monde entier. L’essentiel pour nous est d’éviter tout accident.
Je crois savoir que l’Autorité de sûreté française essaie de créer un peu la même chose avec les autorités de sûreté dans le monde. Elle est à l’origine de l’Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest – la WENRA, en anglais – et elle essaie d’étendre ce principe de rapprochement à l’ensemble des autorités de sûreté nucléaires ; de la même façon, la WANO s’occupe des réacteurs au Pakistan ou en Iran. Aujourd’hui, des ingénieurs d’EDF font des revues de pairs dans ces pays. Nous voulons absolument éviter tout accident nucléaire dans le monde. Il est important que les autorités de sûreté nucléaire essaient de se fédérer et d’avoir la même approche.
Quant au maintien du savoir-faire, c’est une excellente question. Nous devons réussir à réduire les effectifs sans pour autant remettre en cause la sûreté nucléaire ni perdre du savoir-faire. Il faut agir avec la plus grande précaution. Nous avons pu, dans le passé, aller un peu trop vite, proposer trop rapidement des solutions. Aujourd’hui, nous sommes soucieux d’agir de manière maîtrisée.
Heureusement, comme l’a dit tout à l’heure Xavier Ursat, nous avons bien anticipé le renouvellement des compétences, en créant en augmentant nos effectifs pour préparer les départs en retraite, et en formant des jeunes. Toutefois, nous devons veiller à bien gérer la décroissance des effectifs, avec pour seule préoccupation de garantir la sûreté nucléaire.
M. le président. Je remercie nos invités. Nous allons maintenant passer à la seconde partie de ce débat.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
Débat
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir. Je remplace les ministres Ségolène Royal et Emmanuel Macron, qui n’ont pas pu être présents, pour vous présenter la position du Gouvernement quant à l’avenir de la filière nucléaire française.
Je m’attacherai d’abord à décrire brièvement la situation d’Areva et les décisions prises par le Gouvernement pour maintenir la cohérence de la filière, en parlant du bilan et des comptes de résultat de l’entreprise, avant de faire quelques observations sur la filière en général. En quoi est-elle importante ? Comment le projet de Hinkley Point s’insère-t-il dans cette perspective ?
Le Gouvernement a décidé de remettre de l’ordre dans la filière nucléaire française car les comptes d’AREVA pour les années 2014 et 2015 ont révélé une situation dégradée. Celle-ci est due à plusieurs facteurs : une évolution défavorable du marché du nucléaire, directement liée à l’accident de Fukushima qui a entraîné l’arrêt des centrales japonaises et la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire ; mais également des erreurs stratégiques des dirigeants d’AREVA, comme la volonté de positionner l’entreprise sur le secteur de l’architecte ensemblier ou l’acquisition d’Uramin. Vous connaissez aussi les difficultés rencontrées dans le cadre de la construction du réacteur Olkiluoto 3 – dit OL3 – et de l’EPR de Flamanville. Au total, AREVA a affiché des pertes à hauteur de 4,8 milliards d’euros en 2014, et encore 2 milliards en 2015.
Nous avons donc hérité d’une filière endettée, déchirée et désorganisée. Il fallait en prendre acte, regarder cette situation en face, sans aucun déni, et prendre de manière méthodique les décisions nécessaires – et souvent difficiles – pour y remettre de l’ordre, dans l’objectif de donner un avenir à AREVA tout en maintenant la pérennité de la filière nucléaire. Pour cela, il fallait régler deux problèmes : celui des comptes de résultat de l’entreprise et celui de son bilan.
Dès 2012, nous nous sommes penchés sur la question de l’export puisque AREVA et EDF se faisaient la guerre – il n’y a pas d’autre terme –, au détriment de l’ensemble de la filière, notamment des sous-traitants. Pour clarifier les rôles de chaque acteur économique, le 3 juin 2015, le Président de la République a décidé la refonte de la filière, marquée par la cession de l’activité réacteurs d’AREVA à EDF. Cette décision visait à aligner les intérêts des acteurs de la filière et à redonner à celle-ci la cohérence qui lui manquait. Les deux entreprises se sont mises d’accord sur les paramètres de cette cession ; EDF fera une offre ferme dès que la situation relative à l’EPR OL3 en Finlande aura été clarifiée. Dans cette configuration, AREVA conservera 15 % d’AREVA NP – la filiale de l’entreprise spécialisée dans l’ingénierie des réacteurs –, EDF en recevra 51 % et des actionnaires industriels japonais et chinois entreront au capital.
S’agissant du bilan de l’entreprise, AREVA sera recentrée sur les activités du cycle dans une nouvelle structure – on peut parler du « nouvel AREVA » – qui sera créée à cette fin. L’État a l’intention de recapitaliser le groupe à hauteur de 5 milliards d’euros.
Le Gouvernement a également dû œuvrer pour trouver une solution aux problèmes du projet OL3 en Finlande. Des contacts ont été pris et maintenus ; un dialogue très étroit s’est engagé avec le Gouvernement de ce pays et directement entre les entreprises. Nous espérons formaliser un accord avec les Finlandais au mois d’avril afin de refonder la filière nucléaire française sur les bases juridiques les plus solides possible. L’objectif est de mettre fin à l’arbitrage en cours sur ce sujet.
Pour ce qui est du compte de résultat, AREVA doit restaurer sa compétitivité. Un plan de performance vise ainsi à économiser 1 milliard d’euros d’ici à 2017. À cet égard, l’entreprise fait des progrès satisfaisants. L’autre objectif du plan de performance est d’adapter l’entreprise à la situation des marchés, ce qui implique – ces chiffres sont connus et publics – une baisse des effectifs de quelque 15 % à 18 %, soit une suppression 6 000 emplois au niveau mondial, dont 4 000 en France.
Les conditions fermes, quoique négociées, que le Gouvernement a posées en vue de cet accord ont toutes été respectées. Il faut souligner la qualité du dialogue social dans cette situation difficile : l’accord a été signé par quatre des cinq organisations syndicales, qui représentent 75 % du personnel de l’entreprise. Signé le 19 octobre 2015, cet accord favorise la production, les réductions de postes touchant principalement les emplois au siège et les fonctions de support ; aucun site de production ne sera fermé et il n’y aura aucun départ contraint. L’ensemble des relations commerciales entre EDF et AREVA ont été revues. Ainsi, l’on a rééquilibré les contrats en matière de combustible, en particulier dans la conversion et le retraitement, pour permettre au nouvel AREVA de se construire sur des bases plus saines.
J’évoquerai maintenant la filière nucléaire dans son ensemble et la nécessité de la refonder, qui passe par la conquête de nouveaux marchés à l’export et le renouvellement du parc nucléaire de notre pays.
Cette filière représente 220 000 salariés et plus de 2 500 entreprises sur notre territoire. Elle engrange un chiffre d’affaires de 46 milliards d’euros, dont 15 milliards de valeur ajoutée. L’investissement, en particulier en recherche et développement, est crucial dans cette filière qui figure au quatrième rang des filières industrielles les plus innovantes en France du point de vue de la dépense consacrée à cette activité. C’est ainsi qu’EDF investit chaque année plus de 3 milliards d’euros pour la maintenance du parc existant. C’est aussi une filière qui embauche : la pyramide des âges montre qu’une grande partie des salariés qui ont, au départ, participé à sa construction est aujourd’hui en train de partir à la retraite. Le transfert des compétences représente donc un enjeu important, tout comme le développement de nouveaux emplois, en particulier pour accompagner le démantèlement des centrales.
La signature du contrat Hinkley Point est déterminante pour la filière nucléaire. Ce projet est parfois contesté au motif qu’il mettrait EDF en danger ; pourtant, jusqu’à l’année dernière, la soutenabilité de la trajectoire financière d’EDF ne faisait aucun doute. L’entreprise n’est pas en difficulté et ses résultats 2015 sont bons ; mais le monde a changé et les activités d’EDF doivent désormais évoluer dans une situation de concurrence qui n’était pas la même il y a encore quelques années. Ce n’est donc pas Hinkley Point qui fait problème, mais ce contexte, lié à la baisse des prix de marché et au changement de l’environnement économique, notamment en raison des bouleversements du marché de l’énergie.
Face à cette situation mouvante, le compromis nécessaire autour d’EDF n’a pas encore permis de préparer l’avenir. L’État s’est pendant longtemps octroyé des dividendes élevés, alors que les consommateurs bénéficiaient des tarifs les plus bas d’Europe. Encore aujourd’hui, les tarifs d’EDF sont en moyenne de 14 % inférieurs à ceux des autres pays européens. Les salariés enfin ont bénéficié d’une progression salariale déconnectée de la productivité réelle de l’entreprise, du fait de la croyance collective selon laquelle on pourrait toujours, à l’avenir, augmenter les tarifs.
Ce compromis montre aujourd’hui ses limites. Ses recettes étant en baisse à cause du prix de marché, EDF doit réaliser des investissements importants pour pérenniser son avenir. Pour assurer la soutenabilité de la trajectoire financière de l’entreprise, l’État, l’entreprise et ses salariés, ainsi que les consommateurs doivent tous consentir des efforts partagés. Ces efforts sont déjà engagés, mais il faudra certainement aller plus loin. Ainsi, le Gouvernement travaille sur des chantiers de régulation pour sécuriser notre approvisionnement énergétique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre, conformément à nos engagements internationaux ; ces évolutions pourront avoir un impact indirect sur les prix de l’électricité. Le travail est en cours au sein du Gouvernement pour actionner l’ensemble de ces leviers qui permettront à EDF de s’adapter à son nouvel environnement et de continuer à accomplir ses missions. Tous ces efforts forment une perspective cohérente.
Le Gouvernement soutient la filière électronucléaire française et le projet d’investissement à Hinkley Point pour tout un ensemble de raisons. D’abord, EDF travaille depuis plusieurs années sur ce projet qui ne représente que 15 % des investissements prévus par l’entreprise dans les prochaines années. Ensuite, le gouvernement britannique s’est engagé auprès d’EDF à acquérir l’électricité produite à un prix garanti pendant trente-cinq ans – une réponse attendue et nécessaire à la situation actuelle de prix de marché bas. Cet engagement, validé par la Commission européenne, permet de sécuriser la rentabilité du projet.
La France n’entend pas sortir du nucléaire, qui reste le principal moyen de production de l’électricité dans notre pays, et le Gouvernement s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans ces conditions, alors qu’EDF est le premier exploitant mondial du nucléaire et que le chantier de Hinkley Point bénéficie d’une technologie 100 % française, il serait difficile de comprendre que la France ne soit pas présente dans ce premier investissement nucléaire post-Fukushima en Europe.
Dans ces conditions, pour qu’EDF assure le nécessaire renouvellement d’une partie de son parc nucléaire, il n’est pas possible de renoncer à ses ambitions à l’export. Bien entendu, EDF doit s’assurer que toutes les conditions sont réunies avant de prendre la décision finale : c’est aussi le rôle de l’État actionnaire, qui sera particulièrement vigilant sur ce dossier. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a déjà indiqué à plusieurs reprises son objectif, en l’occurrence que la décision relative au projet Hinkley Point soit prise dans les prochains mois – normalement, en mai.
Voilà les premiers éléments que je souhaitais porter à votre connaissance ; je suis à présent disponible pour répondre à vos questions.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Madame la secrétaire d’État, chacun conviendra que l’entreprise EDF a joué un rôle très important dans le développement de notre pays et dans le développement de la filière nucléaire. Comme vous l’avez dit vous-même, nous avons besoin de cette filière, y compris dans le cadre de la transition énergétique. Cette entreprise a effectué un travail remarquable grâce à la grande qualification de ses personnels. Sa conception du service public consiste à apporter aux usagers, dans leur vie quotidienne, les fruits du progrès technologique.
Vous avez évoqué la nécessité de maintenir cette entreprise du point de vue financier, de préserver sa compétitivité. Dans cette perspective, vous avez parlé d’une baisse des effectifs ; vous avez considéré que les salaires, dans cette entreprise, seraient un peu hors norme, et que les consommateurs ne paieraient pas assez cher. Je suis un peu étonnée, tout de même, par ce discours.
J’aurais aimé vous entendre définir la stratégie du Gouvernement concernant l’avenir de la filière nucléaire. Vers quelle solution vous orientez-vous : la prolongation de la durée de vie des équipements actuels, ou un renouvellement plus rapide de ces équipements, avec la mise en service de nouvelles centrales ? L’État est actionnaire principal d’EDF ; les choix stratégiques dépendent donc aussi de sa volonté. Vous avez plaidé pour le projet en Grande-Bretagne, et nous avons entendu, tout à l’heure, des personnes très qualifiées s’interroger sur la conception d’un EPR nouveau modèle, qui serait moins coûteux que l’EPR actuel. Je voudrais donc vous entendre à propos des projets stratégiques que l’État pense confier à cette entreprise.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Peut-être n’ai-je pas assez insisté sur le rôle qu’EDF a joué, continue de jouer et doit continuer de jouer dans le paysage industriel français. C’est une tête de pont du secteur énergétique, qui fournit chaque jour de l’électricité à des millions de nos concitoyens, qui éclaire des millions de foyers, qui permet à nos entreprises de produire et à nos services publics de fonctionner, et ce vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
Vous avez parlé d’une « conception du service public ». C’est plus qu’une conception, c’est une mission de service public qui est pour partie assurée par cette entreprise. C’est cela qui permet à EDF de garantir notre indépendance et notre souveraineté énergétiques : c’est plus que jamais nécessaire du fait de la multiplication des zones de conflit dans le monde, et du fait de la volatilité – particulièrement marquée en ce moment – de la conjoncture économique internationale.
Vous avez raison, peut-être aurais-je dû souligner d’emblée le rôle du personnel d’EDF dans l’accomplissement de cette mission de service public, de ces 105 000 personnes qui, dans toute la France, permettent de créer de l’activité dans tous nos territoires. Toutefois, vous savez comme moi qu’EDF n’est plus dans une situation de monopole dans le champ de ses missions historiques. La concurrence est désormais directe sur certaines de ses activités ; cela nous oblige à avoir une vision stratégique pour l’avenir.
Cette vision stratégique est claire. Tout d’abord, EDF doit rester l’exploitant nucléaire du parc français. Ensuite, l’entreprise doit porter son offre nucléaire à l’international ; c’est dans le cadre de cette stratégie d’export que s’insère le projet d’Hinkley Point. De plus, EDF doit continuer à se diversifier dans la production d’énergies renouvelables.
EDF est aujourd’hui immédiatement en concurrence avec des entreprises qui représentent, pour les consommateurs, une autre possibilité : elle doit donc trouver un nouveau positionnement sur ces secteurs. EDF doit rester, naturellement, un acteur important des réseaux, mais il n’est pas nécessaire, pour cela, qu’elle détienne 100 % des réseaux. Ce secteur fait d’ailleurs partie de ceux qui ont été ouverts à la concurrence.
Enfin, EDF doit rester un fournisseur d’énergie en France, de manière équitable par rapport aux autres fournisseurs, afin de continuer à permettre l’innovation, qui est un moteur de la croissance, et afin de personnaliser toujours plus son offre, conformément à la demande, aux attentes des consommateurs dans notre pays.
Sur tous ces volets, l’entreprise doit décliner sa stratégie pour l’avenir.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la secrétaire d’État, vous avez dit, lors de votre présentation liminaire, que le Gouvernement a décidé de « remettre de l’ordre dans la filière nucléaire ». Il est bien évident que cette remise en ordre causera des dépenses particulièrement importantes.
À ce sujet, dans la première partie de ce débat, nous avons évoqué la prolongation de l’activité des réacteurs, dont le coût est estimé à 55 milliards d’euros par EDF et à 100 milliards d’euros par la Cour des comptes. Nous avons aussi évoqué l’acquisition, par EDF, d’AREVA NP, la branche « réacteurs » d’AREVA, dans le cadre du plan de sauvetage de cette dernière entreprise. Le prix de cette branche est évalué à 2,5 milliards d’euros. Il faut aussi prendre en compte le fameux projet d’Hinkley Point, dont le coût de construction est évalué à 24 milliards d’euros.
Je me suis limité, dans cette énumération, à tout ce qui peut toucher au nucléaire ; j’aurais pu évoquer la montée en puissance des énergies les plus subventionnées, comme l’éolien ou l’énergie solaire. Dans ce contexte, il apparaît évident, nécessaire, de recapitaliser EDF. Cette entreprise devra en effet assumer des responsabilités nouvelles, et faire face à ce que l’on pourrait appeler un « mur d’investissements ». Dans votre exposé liminaire, vous avez estimé cette recapitalisation à hauteur de 5 milliards d’euros, alors que, jusqu’à présent, il était question – il me semble – d’un montant de 12 milliards d’euros. Cela signifie-t-il qu’il faudra trouver d’autres modalités de financement ?
Passons en revue ces autres possibilités qui s’offrent à EDF et à l’État. Les tarifs réglementés augmenteront-ils, ce qui aboutirait à faire payer la facture aux consommateurs ? Envisagez-vous de vendre certains actifs – je pense notamment à Réseau de transport d’électricité, RTE, dont la valeur est estimée à 10 milliards d’euros ? Le passage de RTE au secteur privé pose beaucoup de questions. Autre élément : l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires – je n’y reviens pas car il en a été beaucoup question cet après-midi. Michel Sapin a par ailleurs expliqué qu’il serait possible de financer cette recapitalisation par la vente de participations de l’État dans d’autres entreprises, et non par l’endettement public. Quelles sont ces entreprises ?
Toutes ces questions sont très précises, mais elles peuvent se résumer en quelques mots : d’où viendra l’argent ? Quelles seront les conséquences sur le service public de l’énergie ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous avez insisté sur la situation actuelle d’EDF. Nous sommes d’accord avec le constat que vous avez dressé. J’aimerais cependant le replacer à une échelle plus large, européenne et internationale. J’ai brièvement mentionné ce contexte plus large, permettez-moi d’y revenir.
En France, EDF est exposée à hauteur de 60 % au prix de marché, et est en concurrence avec d’autres fournisseurs pour les 40 % restants. Sur ces 40 %, la concurrence empêche d’augmenter les tarifs réglementés, sans quoi les clients délaisseraient EDF pour les offres concurrentes. Or les prix de marché ont baissé de 40 % en un an. La situation en France, à cet égard, est comparable à ce qui est observé dans les autres pays européens – la baisse des prix de marché s’est produite chez nous avec un certain retard, mais c’est un élément essentiel.
Pour schématiser, le prix de marché du mégawattheure est aujourd’hui de 26 euros, alors que le plan à moyen terme d’EDF a été bâti sur une prévision de prix de 37 euros par mégawattheure, en sachant que le coût historique du mégawattheure produit par le nucléaire était de 42 euros. Cette évolution cause une franche baisse de recettes, qui durera probablement au cours des prochaines années. En effet, le prix de l’électricité issue des centrales au charbon est au plus bas ; or c’est ce prix qui détermine en grande partie le prix de l’électricité.
Il se trouve, de plus, que la production européenne d’électricité est en surcapacité. Il est important de rappeler ces éléments de conjoncture économique ; c’est dans ce contexte que nous devons considérer la situation d’EDF.
Vous avez évoqué un montant de 5 milliards d’euros de recapitalisation ; il y a peut-être eu un malentendu : je parlais bien d’AREVA, et non d’EDF.
Je vais à présent répondre plus précisément aux questions que vous avez posées concernant la hausse des tarifs réglementés, RTE et la vente de participations de l’État dans d’autres entreprises.
Concernant les tarifs réglementés : pour les particuliers, le tarif représente le coût complet de l’ensemble du système électrique français. Il est calculé par empilement de plusieurs composantes : tout d’abord, le coût complet de production du parc nucléaire ; ensuite, le coût de production du reste du parc, auquel s’ajoute le coût des réseaux électriques ; puis les coûts commerciaux d’EDF et des autres fournisseurs. Cette méthode de calcul dite «par empilement» a été adoptée en 2015 par le Gouvernement et a été validée par Bruxelles.
Les règles prévoient explicitement que c’est la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, qui doit appliquer la formule et calculer ce tarif. Le Gouvernement ne peut donc pas modifier le résultat de ce calcul : il ne peut pas geler les tarifs, il ne peut empêcher une éventuelle hausse. La seule possibilité qui s’offrirait au Gouvernement serait de modifier de nouveau la méthode de calcul, alors même que celle-ci vient d’être définie pour tenir compte de la réalité de la conjoncture. Nous ne l’envisageons pas ; ce serait une procédure longue et très incertaine ; or dans le contexte actuel, nous n’avons pas besoin d’incertitude.
À l’heure actuelle, la CRE ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour aboutir au résultat définitif. Les spéculations quant à ce résultat sont donc inutiles. On peut noter, cependant, que la variation de chacune des composantes de ce calcul devrait être minime, que ce soit une variation à la hausse ou à la baisse.
Il faut distinguer la question du tarif réglementé pour les particuliers de celle du prix de marché, dont je vous ai parlé il y a quelques instants. Je vous ai expliqué que le prix de marché est lié à la conjoncture. Il y a donc un écart entre le tarif réglementé et le prix de marché ; le premier, formé de nombreux éléments, dépend très peu du second, car il représente un coût complet calculé sur 40 ans. L’enjeu, pour EDF, est d’affronter la baisse du prix de marché, car il affecte ses ventes, et ne dépend pas du tarif réglementé. Quand on envisage l’avenir de la filière, de ses emplois, ce qui importe, c’est donc d’influer sur le prix de marché. Faire remonter le prix de marché, cela ne signifie pas augmenter le tarif réglementé ; inversement, le prix de marché a pu baisser de 40 % en un an sans que le tarif réglementé diminue.
Quant à RTE, c’est la société qui gère le réseau des lignes à haute tension. Vous savez qu’elle est filiale à 100 % d’EDF, mais les directives européennes qui régulent le secteur imposent une séparation des activités de transport d’électricité d’une part, des activités de production et de fourniture d’électricité d’autre part, ces dernières relevant d’EDF. Cette séparation est nécessaire pour garantir que celle-ci ne dispose pas d’informations privilégiées par rapport à ses concurrents dans le secteur de la production ou de la fourniture. Par conséquent, EDF ne peut consolider RTE dans ses comptes et, pour la même raison, il y a étanchéité au niveau des personnels, y compris du management, et elle n’a pas de droit de regard sur les décisions courantes qui concernent RTE, et ce alors même qu’elle en détient, je le répète, 100 % du capital. Vous conviendrez comme moi qu’une telle situation n’est pas totalement optimale ni pour EDF ni pour RTE.
C’est pourquoi François Brottes, dorénavant président du directoire de RTE, travaille à définir un projet industriel pour cette entreprise qu’il devrait présenter avant l’été. Ce projet pourrait se traduire par une évolution du capital du RTE, évidemment dans les limites prévues par la loi, à savoir que RTE restera contrôlé par la puissance publique comme il se doit, mais pas forcément détenu à 100 % par EDF – la Caisse des dépôts, par exemple, pourrait prendre une participation, de même que le secteur privé. Mais il va de soi qu’EDF resterait l’actionnaire majoritaire. Le Réseau de transport d’électricité a une valeur stratégique et doit demeurer dans la sphère publique. Ce projet industriel sera avant tout défini dans l’intérêt de RTE ; il ne s’agira en aucun cas d’un pur schéma financier présenté pour renflouer EDF. Ma réponse sur ce point a peut-être été quelque peu longue, mais elle illustre la complexité juridique qui régit les relations entre les deux entreprises.
Par ailleurs, vous avez évoqué les propos tenus par mon collègue Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la vente éventuelle par l’État de participations qu’il détient dans d’autres entreprises publiques. Sur ce point, le Gouvernement a une politique active et volontaire en la matière : il s’agit de céder des participations là où sa présence n’est pas considérée comme nécessaire, par exemple dans le cas des sociétés gestionnaires des aéroports de Nice ou de Lyon. D’autres cessions sont possibles, mais le Gouvernement ne peut les annoncer par avance car cela mettrait en cause les intérêts patrimoniaux de l’État, c’est-à-dire des Français.
M. le président. Brièvement, monsieur Chassaigne …
M. André Chassaigne. Une seule phrase, monsieur le président : qu’en termes élégants ces choses-là sont dites, mais au final on voit bien quelles sont les orientations.