Le dilemne de Tchernobyl : la radioactivité est-elle aussi mauvaise qu’on le pense ? (traduction du Spiegel)

Commentaire :

Ni déni, ni diabolisation. Mais l’atome n’est pas à la hauteur de nos fantasmes…

L’ADN baigne dans la radioactivité naturelle depuis des centaines de millions d’années (1 mSv à 3 environ voir 50 dans certains pays), d’ailleurs bien plus élevée que de nos jours. L’homéostasie biologique nous confère une capacité à cohabiter avec une « certaine » dose. Laquelle ? Sujet complexe, les études couteuses n’ayant pas encore été financées, bien qu’on connaisse maintenant très correctement l’effet des fortes doses et les minces disparités entre individus. Donc 100 mSv reçus en une seule fois (50 pour les enfants), ou plusieurs centaines en des années semble la limite de nocivité (en excluant bien sûr l’ingestion). Pas 10 mSv ou 1, ou 0,5 comme reçu en France après Tchernobyl (dilution d’un facteur 50 000 après 2000 km).

Source : l’article du Spiegel en allemand de Manfred Dworschak 
intitulé « Schön verstrahlt ».

En anglais :

http://m.spiegel.de/international/world/a-1088744.html

 

Traduction :

Le dilemne de Tchernobyl : la radioactivité est-elle aussi mauvaise qu’on le pense ?

par Manfred Dworschak

AP

UKRAINE CHERNOBYL MEMORIES

** FILE ** The old control room is shown inside reactor No.4 in the Chernobyl nuclear power plant in this Nov.10, 2000, file photo. This is the location where Soviet engineers flipped a power switch on April 26, 1986, and two explosions followed one after another immediately, sending radioactive clouds thoughout most of Europe, causing the world’s worst nuclear accident. (AP Photo/Efrem Lukatsky, file)

Trente ans après le désastre de Tchernobyl, il semble clair que la radioactivité est moins nocive qu’initialement prévu. Certains chercheurs pensent même qu’elle puisse être bénéfique à faibles doses.

Qui voudrait respirer volontairement du gaz radioactif ? De nos jours, on trouve des gens qui le font. Ils ne jurent plus que par ce gaz noble qu’est le radon, créé par la décomposition de l’uranium: ils y aspirent, profondément.

La plupart des adeptes des propriétés curatives des radiations souffrent de maladies inflammatoires chroniques: arthrite, asthme ou psoriasis, par exemple. Le gaz, disent-ils, les soulage de leurs maux pendant des mois. C’est pourquoi ils s’allongent dans l’eau à bulles de radon proposée dans certaines cures thermales. A Bad Kreuznach, dans l’état allemand de Rhénanie-Palatinat, ces braves curistes se promènent dans les tunnels des mines de mercure abandonnées, attirés par l’air chargé de radon au cœur de la montagne. Sont-ils fous ?

Pourtant, il est clair que ces gens ont raison: la radioactivité leur est bénéfique.

Ils s’agit des premières conclusions d’un étude en cours menée par des chercheurs de 4 instituts allemands. Leur dirigeante est la radiobiologiste Claudia Fournier, du Centre Helmholtz pour la Recherche sur les Ions Lourds à Darmstadt.

Des centaines de patients dans la station balnéaire de Bad Steven, en Haute-Franconie, se sont prêtés aux examens dans le cadre de cette étude. Les chercheurs ont trouvé qu’après une série de bains au radon, le sang des sujets testés présentait moins de signes d’inflammation. Leurs défenses immunitaires, souvent déclenchées à haut niveau en raison de leurs maladies, semblaient également être revenues à des niveaux plus bas.

Une expérience complémentaire sur des souris arthritiques ont révélé d’autres surprises. Après l’expérience, la perte d’os, qui accompagne généralement l’inflammation; avait été réduite.

Pourtant, le radon est loin d’être inoffensif et peut provoquer des cancers du poumon à doses plus élevées. Comment le même gaz peut-il être bénéfique, réduire l’inflammation et renforcer les os ?

Ses avantages pour les humains et les souris n’ont pas encore été confirmés, et des expériences complémentaires sont nécessaires. mais la biologiste Claudia Fournier estime raisonnablement que ses résultats donnent une nouvelle direction: « A faibles doses, les radiations ont un effet différent de celui prévu, » dit-elle.

Bains de radon

Trente ans après Tchernobyl, voilà une découverte surprenante. Il y a trois décennies, la moitié de l’Europe de l’Ouest a été contaminée par des retombées faiblement radioactives. On avait alors enseigné au public qu’il fallait se méfier de cette radioactivité omniprésente.

Mais maintenant, les effets des radiations ne sont apparemment pas tous si mauvais. Le corps semble être capable de lutter contre de faibles doses de radon. « Nous continuons à chercher des atteintes au génome, » dit Claudia Fournier, « mais nous n’avons pas pu en observer jusqu’à présent. »

Les bains de radon avaient été considérés jusqu’à présent comme des curiosités de la médecine expérimentale, souvent considérés comme suspects et ésotériques. Pourtant, cela fait un moment que cela se pratique. Il y a déjà un siècle, les premières cures de ce type faisaient la publicité de leurs rayons a priori guérissants. Mais après le largage de deux bombes atomiques sur le Japon et plusieurs désastreux accidents de réacteurs, les traitements radioactifs ont été pointés du doigt. Des chercheurs suspectaient que, dans le meilleur des cas, c’était la chaleur dans les tunnels qui avait procuré un répit temporaire aux patients.

rad2

Photographie: alliance / dpa

Des patients sont couchés dans l’unique bain de radon en Allemagne, dans la ville de Bad Kreuznach.

Le message officiel ne varie pas: la règle gravée dans le marbre est que la radioactivité peut être dangereuse, même à faibles doses. Il n’y a pas de seuil d’innocuité. Même une seule cellule endommagée pourrait devenir une tumeur.

L’estimation standard du risque provient en grande partie d’une étude lancée en 1950, après les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Cette année-là, une étude portant sur 86 000 survivants a commencé, et continue encore de nos jours. Elle a démontré l’évolution du risque de cancer en fonction de la dose de radiations.

Statistiquement, les effets des radiations ne deviennent pourtant apparents qu’à des doses relativement élevées — à partir de 100 millisieverts recus en une seule fois, selon l’unité utilisée par les biologistes pour mesurer les effets des radiations sur le corps. C’est 50 fois plus que la dose reçue par chaque personne chaque année en Allemagne provenant de la radioactivité naturelle ambiante.

A partir de 100 millisieverts (recus en une seule fois), le danger devient prévisible: si 100 personnes sont irradiées à cette dose, un risque accru de cancer ou leucémie est certain. Mais en-dessous, cela se complique. « Nous ne savons tout simplement pas comment répond le corps à des radiations plus faibles, » dit Werner Rühm, directeur de l’Institut de Protection contre les Radiations, près de Munich.

Les Limites des Statistiques

Il est possible que 10 millisieverts suffisent à augmenter les taux de cancer. Mais cela ne se verrait pas dans les statistiques. « Les cancers dus à d’autres causes sont simplement trop répandus, » dit Rühm. « Plus de 40 pourcents des gens en développeront un jour. » Et le risque varie énormément, selon le mode de vie : parmi les fumeurs, par exemple, il est particulièrement élevé. Il est difficile de savoir si, sur 1000 cas de cancer, il existe un cas dissimulé qui serait lié à une mutation cellulaire causée par les radiations.

« Mais la société, bien évidemment, attend des conclusions de notre part, » dit Rühm. « Alors par précaution, nous faisons comme si nous étions capables de calculer le risque jusqu’aux doses les plus faibles. »

Le résultat est purement mathématique, suffisamment bon pour extrapoler des règles et des limites généralement considérées comme nécessaires. « de toute façon, nous n’avons pas mieux, » dit Rühm.

Mais cela n’a aucun sens de projeter des chiffres aussi abstraits sur une population toute entière à la suite d’une catastrophe nucléaire, comme les prophètes de malheur sont prompts à le faire. Après Tchernobyl, des projections horribles  de nombre de victimes ont été diffusées. Un risque très petit, multiplié par 600 millions d’Européens, aboutissait à des centaines de milliers de cas de cancer additionnels — un nombre complètement artificiel. Il se pourrait qu’il n’y ait pas un seul cas. Nous ne savons tout simplement pas.

Certains chercheurs pensent même que les hypothèses fondamentales à la base des calculs sont fausses. L’un deux se nomme Reinhard Wetzker. Il dirige l’Institut de Biologie Moléculaire Cellulaire à l’Université d’Iéna. « Le modèle traditionnel de risque ne tient pas, » dit-il. « Il ne tient pas compte du fait que les cellules peuvent très bien s’occuper de faibles doses de radiations. »

La plus terrible des conséquences est l’endommagement du génome. Mais pour le corps, de tels dégâts ne sont pas forcément un évènement dramatique à court terme. Chaque cellule en subit des milliers chaque jour. La plupart du temps, l’attaque vient de l’intérieur: le métabolisme cellulaire crée des molécules agressives, les radicaux libres, qui endommagent l’ADN en permanence.

Pour cette raison, il existe de minuscules machines de réparations actives en permanence : des protéines spéciales corrigent les portions erronées du génome, tandis que d’autres réparent les ruptures de brins. Quand rien n’y fait, des gardiens moléculaires initient la mort cellulaire programmée.

Craintes mal placées ?

L’efficacité du fonctionnent de ces mécanismes de réparation a été largement prouvée, tant que les radiations ne sont pas trop fortes. De plus, les cellules réparées semblent mieux équipées pour résister à des attaques ultérieures. Alors ces craintes sont-elles mal placées ?

La biologiste de Darmstadt, Claire Fournier, croit que la question est mal posée: « Quelque chose qui renforce une cellule n’aide pas forcément une personne », dit-elle. « Si elle mute, cette cellule peut devenir plus tard la source d’un cancer. »

Cependant, il est largement accepté que les scénarios morbides de victimes de l’âge nucléaire ne se sont pas réalisés. En vérité, les pires catastrophes ont provoqué de manière surprenante peu de victimes.

Ceux qui voyagent à Tchernobyl aujourd’hui auront le sentiment de pénétrer dans un paradis naturel. Dans la zone autour du réacteur à l’épicentre du désastre, il y a de nouveau des loups et des chevaux de Przewalski — et même des bisons européens et des lynx dans les forêts inhabitées. Il y a probablement plus d’animaux vivant dans le secteur qu’avant le désastre. Les radiations encore élevées semblent moins dangereuses pour la nature que les humains.

La catastrophe a commencé avec l’explosion de l’Unité 4 le 26 Avril 1986. les pompiers ont essayé d’éteindre les flammes et de couvrir le cœur ouvert du réacteur. Beaucoup des sauveteurs ont été exposés à des doses extrêmement élevées de  radiations et, dès 1998, 39 d’entre eux en sont décédés.

Cependant, la question de savoir si une augmentation des cas de cancer dans la zone a eu lieu, après l’accident, reste ouverte. Les statistiques ne l’ont pas prouvé: des taux de cancer plus élevés dans la population n’ont pas pu être déterminés pour l’instant. C’est la conclusion tirée par la commission sur les effets des radiations atomiques des Nations-Unies (UNSCEAR : United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) en 2011. Il y a  cependant une exception: plus de 6,000 enfants ont contracté le cancer de la thyroïde après l’accident et 15 en sont morts. Un grand nombre de cas a pu être lié à l’iode radioactif transporté par le vent dans la région durant les premiers jours. La tumeur, si elle est identifiée suffisamment tôt, peut être soignée efficacement.

Une augmentation des cancers de la thyroïde a été également observé dans la zone autour du réacteur détruit de Fukushima. L’année dernière, environ 300,000 personnes âgées de 18 ans ou moins au moment du désastre ont été examinées. les chercheurs ont trouvé 137 cas. Mais personne ne sait combien de ces tumeurs ont été détectées seulement car il s’agissait de la première campagne de détection systématique.

 

 

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